
Comment un hackathon stimule l'innovation dans le logement social
L'IA révolutionne le secteur du logement social. Et si, en seulement 48 heures, elle pouvait transformer les défis du secteur en opportunités concrètes ? Retour sur le hackaton Habit'I.A organisé récemment par l'UHS Normandie
L'Union pour l'Habitat Social de Normandie (UHS Normandie) a récemment organisé un hackathon* centré sur l'intelligence artificielle, marquant une étape importante dans la transformation numérique du secteur du logement social.
À travers le témoignage d'Eric Farina, expert en développement de solutions digitales et en nouvelles technologies, découvrons comment cet événement illustre la dynamique d'innovation du secteur et ses perspectives d'avenir.
Un format propice à l'innovation
"Le format du hackathon permet l'agilité," souligne Éric Farina. "Ce type d'événement est un véritable accélérateur d'innovation : c’est une approche qui permet de transformer les idées en prototypes concrets en un temps record, sans être freinés par les lourdeurs administratives ou budgétaires traditionnelles."
L'originalité de cet événement réside dans la diversité des participants réunis : étudiants, développeurs spécialisés en intelligence artificielle, bailleurs sociaux exposant leurs besoins métiers, et représentants des locataires. "Nous avons pu croiser les expertises, confronter les idées et aboutir à des solutions pertinentes, ancrées dans les besoins réels du terrain" explique-t-il.
Un secteur historiquement innovant
Contrairement aux idées reçues, le logement social a toujours été à la pointe de l'innovation technologique. Les bailleurs sociaux, qui gèrent en moyenne 12 000 logements sur des durées de 30 à 60 ans, ont été précurseurs dans l'adoption de nombreuses technologies. Ainsi, toutes les innovations visant à améliorer la construction, la rénovation, et l'entretien des logements vont intéresser les bailleurs sociaux, qui ont à la fois un important parc immobilier à gérer et un objectif de durée de vie des bâtiments à atteindre.
"On l'oublie souvent, mais les bailleurs sociaux ont été les pionniers dans l'adoption de la maquette numérique (BIM)," rappelle Éric Farina. "Le secteur du logement social est aujourd'hui le plus grand utilisateur de cette technologie en France, devançant même les promoteurs privés."
Cette connaissance du patrimoine, à travers sa numérisation, ne se limite pas à une gestion technique optimisée ; elle accompagne également les gestionnaires dans leurs activités, facilitant la commercialisation, la gestion locative et l’amélioration des services aux locataires, comme la possibilité de visites virtuelles des logements. La crise sanitaire a par ailleurs accéléré la digitalisation des processus, permettant par exemple la signature électronique des contrats de location à distance.
L'IA comme levier de transformation
Le choix de l'intelligence artificielle comme thématique centrale n'est pas anodin. L'IA représente en effet une rupture technologique comparable à l’automatisation industrielle ou à l'avènement d'Internet, qui va stimuler l'innovation dans le logement social.
Plusieurs axes stratégiques ont été explorés durant le hackathon :
1. La maintenance prédictive
L'IA permet d'anticiper les défaillances des équipements et de gérer plus efficacement les ressources. "Aujourd’hui par exemple, ce sont plusieurs piscines olympiques qui sont perdues chaque année à cause des fuites d’eau non détectées," alerte Éric Farina. L’IA peut aider à anticiper et détecter ces fuites à travers l'analyse des équipements et des données en temps réel. "C’est un enjeu environnemental majeur, et une économie non négligeable pour les bailleurs," précise-t-il.
2. L’amélioration de la relation bailleur-locataire
L’IA facilite l'inclusion et joue un rôle clé dans l’amélioration de la communication et dans la compréhension des besoins des locataires. "Grâce à l’IA, un locataire pourra interagir avec son bailleur dans sa langue maternelle, rendant les échanges plus fluides." note Éric Farina.
L’IA permet aussi d'automatiser le traitement des demandes d’intervention : en analysant une simple photo d'un problème technique, elle peut identifier immédiatement la panne, établir un diagnostic et planifier l’intervention appropriée.
Cette amélioration répond à un besoin concret : selon les dernières statistiques de l'Union Sociale de l'Habitat, la satisfaction des locataires concernant les interventions techniques est en baisse pour 2024. L'IA pourrait contribuer à inverser cette tendance en améliorant la réactivité et la qualité du service rendu aux locataires.
3. L’optimisation énergétique
Face à l’enjeu majeur d’améliorer la performance énergétique des logements, l’IA aide à identifier les logements les plus énergivores et à prioriser les rénovations selon un certain nombre de critères. "Les bailleurs ont une vision à long terme, sur 30 à 60 ans," rappelle Éric Farina. "Optimiser la consommation énergétique, c’est assurer la qualité et la durabilité du patrimoine tout en réduisant la facture des locataires."
Des bénéfices concrets pour toutes les parties prenantes
Le hackathon a mis en lumière le potentiel prometteur de l’IA pour répondre aux besoins des différentes parties prenantes du secteur :
- Pour les locataires : une meilleure compréhension des besoins, une meilleure réactivité dans le traitement des demandes et des solutions immédiates pour certains problèmes simples. "Par exemple, en cas de fuite d'eau, l'IA peut immédiatement guider un locataire pour lui indiquer comment couper l’arrivée d’eau avant l’intervention d’un technicien," illustre Éric Farina.
- Pour les bailleurs : une optimisation du temps des équipes qui peuvent se concentrer sur la résolution des problèmes plutôt que sur leur qualification
- Pour les techniciens : un accès facilité aux informations techniques et aux solutions possibles lors des interventions, avec des recommandations basées sur l'historique des interventions similaires
De l’expérimentation à la mise en œuvre
L’un des aspects les plus marquants de ce hackathon est son prolongement au-delà de l’événement. Les trois projets primés vont être présentés dans le cadre de l'association des bailleurs sociaux pour qu'ils puissent mettre en application ces projets au sein de leurs structures. Cette approche garantit que les innovations ne restent pas au stade de prototype mais évoluent vers des solutions concrètes. "Passer d’un prototype à un produit réel, le mettre en situation réelle et mesurer si les bénéfices sont réellement tenus sont des étapes cruciales," note Éric Farina.
L'événement a également permis de valoriser le secteur auprès des jeunes talents du numérique. "Les étudiants, lorsqu'ils évoluent dans le monde du numérique, ne pensent pas obligatoirement au logement social," note Eric Farina. "Le hackathon a ainsi contribué à changer cette perception en montrant le dynamisme et les opportunités d'un secteur en pleine transformation, pour lequel il y a énormément de défis passionnants à relever."
Les enjeux éthiques au cœur de la réflexion
Au-delà des aspects techniques, le hackathon a soulevé d'importantes questions éthiques concernant l'utilisation de l'IA. La protection des données des locataires et la définition des limites de l'IA sont apparues comme des enjeux cruciaux à prendre en compte dans le développement des solutions. "Quand on manipule autant de données personnelles sensibles, il faut être irréprochable sur la protection de ces données," avertit Éric Farina.
Perspectives d’avenir
Pour Éric Farina, le logement social de demain repose sur trois piliers : "Il doit être durable, inclusif et innovant."
Le succès de ce premier hackathon ouvre la voie à d’autres éditions et appelle à une pérennisation de l'initiative dans d'autres régions et potentiellement à l'échelle nationale. "On a prouvé que l’innovation pouvait émerger en un temps record. Maintenant, il faut transformer ces initiatives en projets concrets qui amélioreront le quotidien de l'ensemble des parties prenantes," conclut-il.
Eric Farina résume ainsi parfaitement l'esprit de cette initiative : "L'IA ne vise pas à remplacer l'humain, mais plutôt à lui faciliter la tâche. L'IA est une opportunité pour innover, mais attention de ne pas se substituer aux relations humaines."
Ce hackathon démontre que le secteur du logement social, loin des clichés traditionnels, est en réalité à la pointe de l'innovation technologique. Il illustre parfaitement comment les nouvelles technologies, en particulier l'IA, peuvent être mises au service de l'amélioration des conditions de vie des locataires tout en optimisant la gestion du parc immobilier social, qui représente un patrimoine considérable géré sur le long terme.